Type de texte | source |
---|---|
Titre | L’histoire du monde de C. Pline second… mis en françois par Antoine du Pinet |
Auteurs | Pline l’Ancien Du Pinet, Antoine |
Date de rédaction | |
Date de publication originale | 1562 |
Titre traduit | |
Auteurs de la traduction | |
Date de traduction | |
Date d'édition moderne ou de réédition | |
Editeur moderne | |
Date de reprint | rééd. Genève, Jacob Stoer, 1608. |
, p. 964
Antiphilus est fort estimé par un garçon qu’il fit, soufflant le feu : où par mesme moyen on voit au lustre du feu le dedans d’une fort belle maison, et la bouche du garçon qui souffle le feu.
, p. 957
Quant à Callicles, il besongnait aussi en petit volume : et Calaces pareillement : toutefois ce dernier s’addonnoit fort à faire les tableaux qu’on mettoit és ieux des Comédies. Mais Antiphilus faisoit l’un et l’autre [[1:c’est à dire, qu’il besongnoit en grand, et en petit volume.]] : car il y a une Hésione [[1:Ceste princesse estoit fille de Laomedon roy de Troye : laquelle estant exposee au monstre marin, selon le sort qui luy estoit tombé dessus, en fut délivree par Hercule, et eut du depuis le Prince Telamon pour mary]] fort bien faite qui est de sa facture, et un Alexandre, en compagnie du roy Philippe son pere, avec une Minerve qui sont en la place [[1:schola]], où les jeunes gentils hommes s’assemblent vis à vis des portiques et galeries d’Octavia. On voit aussi es allees et pourmenoirs de Philippus, un dieu Bacchus, le pourtrait d’Alexandre estant encores jeune enfant, et un Hippolitus s’étonnant de voir lascher un toreau qu’il lui faisoit combattre, le tout de la facture d’Antiphilus : qui aussi fit le Cadmus et l’Europe qui est en l’eschole de Pompeius. Il peignit aussi un Gryllus [[1:Il fut fils de Xenophon et mourut pour sa patrie]] quasi en habit de fol : aussi du depuis on appella Gryllus toutes semblables peintures. Il estoit Egyptien et avoit apprins son mestier sous Ctesidemus.
, p. 951
Il fit aussi un Alexandre tenant de foudre en sa main [[1:Anciennement on peignoit la foudre par trois flesches liees ensemble ayans des garrots des deux costez]], qui cousta vingt talens d’or, et neantmoins fut mis au temple de Diane Ephesienne. Et de fait, la besongne estoit si riche, qu’il sembloit qu’Alexandre eust les doigts de la main levez, et que la foudre fust hors du tableau. Sur quoy se faut tousiours souvenir, que tous ces riches ouvrages furent faits avec quatre couleurs seulement : et neantmoins ce tableau fut acheté à plein boysseaux d’or sans le compter.
, p. 951
Il fit aussi le pourtrait du roy Antigonus mais pour ce qu’il estoit borgne d’un œil, il trouva moyen de cacher ceste imperfection, luy faisant un peu contourner le visage de biais [[1:ou de costé]], à ce que le deffaut de ne montrer les deux yeux, fust plutost imputé à la peinture, qu’au roy Antigonus qu’elle représentoit : car le pourtrait n’estoit fait qu’à mi-visage, encores qu’il l’eust peu montrer du tout s’il eust voulu.
, p. 952-953
En somme, les inventions geniales qu’il controuvoit pour mettre en peinture, ont depuis servi grandement aux sectateurs de cest art. Il avoit un secret de faire un vernix fort subtil dont il vernissoit ses besongnes parachevees, lequel y estoit posé si subtilement, qu’il n’a esté possible à homme de pouvoir atteindre à ceste subtilité, ny à ce vernix : et neantmoins il donnoit lustre par ce moyen à sa peinture, et la contregardoit et de la poudre, et de toute autre ordure : et à toucher ses tableaux, on se trouvoit la main barbouillee dudit vernix. Et certes l’invention de ce vernix servoit grandement en ce temps là, pour garder que la trop grande gayeté des couleurs ne fust fascheuse aux yeux. Et de fait, il sembloit à considerer de loin sa besongne, qu’il y eut de talc [[1:lapis specularis]] devant, car ce vernis meurtrissoit tellement la gaieté des couleurs qu’elles en sembloyent plus rudes et plus obscures.
, p. 950-951
: Il eust neantmoins ce desastre, d’estre hay du prince Ptolemee, qui estoit à la suite du roy Alexandre, et qui depuis fut roy d’Egypte. Mesmes il advint, apres le deces d’Alexandre, qu’Apelles estant poussé par la fortune de mer és costes d’Alexandrie, et contraint de prendre terre, certains autres peintres, ses malveillans, ayans gaigné un des plaisans du roy Ptolemee [[1:ou, un affaité de cour de la maison du roy Ptolemee]], qui estoit en ladite cité, le firent convier au soupper du roy : où estant le roy, luy demanda d’un visage assez farousche, qui luy avoit fait venir : sur quoy Apelles ne sachant le nom de son affaitté, print un charbon au foyer de la salle du roy, et le commença à charbonner contre la muraille. Mais le roy n’eut si tost veu le commencement du pourfil qu’il fit, qu’il ne cognust l’affaitté qui luy avait joué ceste trouffe.
, p. 952
Il fit pareillement un cheval, dont sera à jamais parlé : aussi fut il fait à l’ennuy de certains autres peintres, qui contendoyent contre luy à qui feroit le mieux. Et craignant que la faveur qu’avoyent ses parties ne luy fist perdre le prix qu’il meritoit, il aima mieux suyvre le iugement des bestes que des hommes. Et de fait, ayant monstré les chevaux de ses parties aux chevaux naturels, ils n’en tindrent compte : mais des qu’il mit le sien en monstre, les chevaux commencerent à hannir contre. Lequel moyen servit de regle par apres pour faire l’essay des besongnes bien faites en peinture.
, p. 952
Toutesfois ceux qui s’entendent en ces matieres, prennent pour les meilleures pieces d’Apelles, un Antigonus qu’il fit à cheval, et une Diane estant parmi une troupe de jeunes filles sacrifiantes : auquel tableau il vainquit mesme l’esprit d’Homere, qui premier en avoit fait la description.
, p. 949-950
Il avoit aussi une certaine gracieuseté et douceur qu’Alexandre le Gand estimoit tant, que mesme il le venoit souvent voir en sa boutique pour l’ouyr causer : et ne voulut onques permettre qu’autre fist son pourtrait qu’Apelles, selon que desja avons dit cy dessus. Mesmes quand ce Prince, voulant discourir du fait de la peinture, parloit quelquefois mal à propos, Apelles luy disoit fort gracieusement, Sire le meilleur seroit de vous taire, car les apprentis qui broyent les couleurs en l’arriere boutique se moquent de vous, tant estoit familier de ce roy, qui neantmoins estoit assez colère de soy-mesme.
, p. 950
Et de fait, Alexandre monstra bien par un acte notable, combien il estimoit Apelles. Car ayant une de ses concubines, nommée Campaspé de beauté admirable, et excellente pour l’amitié qu’il luy portoit, et pour la grande et recommandable beauté d’icelle, il voulust qu’Apelles la peignit au vif. Et voyant qu’Apelles mesmes se trouva frappé du mesme dart qu’il estoit, il la luy donna : montrant bien en ce la grandeur de son cœur, de commander ainsi à soy-mesme : en quoy il acquit bien autant de gloire, qu’il eust fait en une bien grande victoire. Car en premier lieu, il se vainquit soy-mesme : et ne fit seulement part à Apelles de son lict : mais aussi luy donna son affection, sans avoir esgard à l’amitié qu’il portoit à celle qui tomboit des mains d’un si grand roy que luy, entre les mains d’un peintre. Aussi dit-on qu’Apelles fit sur le vif d’icelle une Vénus sortant de l’escume de la mer, dont sera parlé cy après.
, p. 949
Et quand il avoit parachevé quelque piece, il l’exposoit en une galerie, ou en une allee, au jugement de tout le monde : et neantmoins demeuroit caché derrière ses tableaux, pour noter les fautes qu’on y trouveroit, preferant le jugement du commun populaire au sien propre. Advint donc qu’un cordonnier ayant trouvé à redire en un sien tableau, qu’il y avoit trop peu de courrayes [[1:anciennement on bridoit les pianelles, comme on voit ès sandales des peintures faites à l’antique]] au dedans d’une pianelle ou pantouffle qu’Apelles avoit faite, au regard du dehors. Apelles trouvant son advis bon, le corrigea. Le lendemain ce mesme cordonnier passant par devant ce tableau, et se tenant fier de ce qu’Apelles avoit assis jugement sur son dire, voulut aussi blasonner une greue qui estoit audit tableau. De quoi fasché Apelle remontra assez brusquement à ce cordonnier, qu’il se contentast de parler des pianelles et pantouffles, qui estoyent du fait de son estat, sans entreprendre plus outre. Duquel mot on fit un proverbe commun, Qu’un cordonnier ne devoit passer la pantoufle [[1:Ne sutor ultra crepidam]].
, p. 948-949
Sur quoy me souvient d’un acte fort gentil, dont il usa a l’endroit de Protogenes. Car ayant fantasie de cognoistre plus familierement Protogenes et de voir de sa besongne, pour ce qu’il en avoit tant ouy parler, il alla expres à Rhodes, où estant, s’achemina droit a sa boutique qu’une vieille gardoit, car de fortune Protogenes n’y estoit pas. Et comme il s’en vouloit aller, n’ayant trouvé celui qu’il cerchoit, la vieille luy demanda son nom pour savoir dire à Protogenes qui l’auroit demandé à son retour. Alors Apelles print un pinceau, et voyant sur l’estandy [[1:l’eschaffaut]] de la boutique une toile tendue en un chassy, preste à peindre, y fit avec le pinceau un trait fort subtil, disant à la vieille, Vous direz à votre maistre, que celuy qui a fait ce trait l’a demandé. Protogenes donc estant de retour, et s’estant enquis de ceux qui l’avoyent demandé, la vieille luy compta tout ce qui estoit passé entre elle et Apelles. Ce qu’oyant Protogène, cognut au seul trait qu’Apelles avoit fait, qu’il estoit arrivé à Rhodes : car à son dire, il n’estoit possible qu’un autre qu’Apelles eust sceu faire un trait de couleur si subtil que cestuy-là. Et neantmoins ayant trempé un pinceau d’une autre couleur, il fit un autre trait au mesme tableau encore plus subtil que celuy d’Apelle : commandant à sa vieille au sortir de la maison, que si Apelles retournoit une autre fois le demander, qu’elle lui monstrast le traict qu’il avoit fait, luy declarant que celuy qu’il cerchoit l’avoit fait. Ce qu’advint : car Apelles estant retourné à la boutique de Protogenes pour le trouver, et se sentant aucunement confus d’avoir esté vaincu, print un autre pinceau d’une tierce couleur : duquel il coupa si subtilement les deux traits precedens, qu’il n’estoit possible d’en faire de plus subtils. Quoi voyant Protogenes, se confessant vaincu, courut au havre pour y chercher Apelle pour le recevoir hospitalement, et faire alliance d’hospitalité avec luy. En memoire de quoy, et l’un et l’autre laisserent ce tableau avec ses trois traits seulement, au grand estonnement de tous ceux qui les voyent encores, et plus encores de ceux qui s’entendoyent en cest art : car ce tableau fut seulement bruslé au premier feu qui se mit au palais de Caesar. Et de fait, j’ay prins autresfois grand plaisir à les contempler : car il estoit de grand volume, et neantmoins ne contenoit autre chose que ces trois traits, qui encore estoyent si menus, qu’à peine les pouvoit-on voir, de sorte qu’il sembloit que ce fust toile simple qu’on eust là mis parmi les autres riches tableaux qui estayent, et toutesfois ce tableau vide estoit plus considéré et estimé plus riche que tous les autres.
, p. 947-948
Mais quoy que soit, Apelles seul a surmonté non seulement tous les peintres qui l’avoyent precedé, mais aussi ceux qui sont venus depuis. Il estoit en regne la CXII Olympiade, et si consommé en cest art, qu’on tient que luy seul l’a plus, ou autant illustré, que tous ceux qui l’avoyent precedé : aussi en fit-il plusieurs livres, où tous les secrets de cest art sont comprins. Toutesfois le principal poinct qu’il avoit, estoit que toutes les peintures avoyent une certaine grace inimitable. Et neantmoins il y avoit de son temps plusieurs excellnes (sic) peintres, lesquels luy mesme admiroit : et ayant veu leurs besongnes une par une, les louoit merveilleusement, et disoit qu’il n’y avoit rien à redire, hormis que toutes avoyent faute d’une certaine venus [[1:c’est à dire que toutes leurs besongnes avoyent faute de grace]] que les Grecs appellent Charis, en laquelle il les precedoit tous.
, p. 952
Il peignit aussi des choses qui ne se peuvent peindre, comme tonnerres, esclairs, et foudres, lesquels tableaux sont encores aujourd’huy appellez Brontes, Astrapes, et Ceraunobolus.
, p. 951
Entre ses principales pieces, il y en a qui sont faites à mode de gens transis, et qui s’en vont mourir.
, p. 948
Il s’attribua aussi une autre grande gloire, considerant un tableau de Protogenes, et s’esmerveillant de la grande peine qu’il avoit prinse à y recercher trop curieusement les secrets de l’art : car il afferma que Protogenes l’égaloit bien, et que mesme il le passoit en certains poincts, mais aussi qu’il surpassoit Protogenes en un poinct seulement, c’est que Protogenes ne se savoit oster de dessus sa besongne, ce qu’il savoit tres bien faire. Qui est un mot fort considerable, pour monstrer que la trop grande diligence et curiosité nuit quelques fois.
, p. 939
Et toutesfois, considerant ceste grande varieté de couleurs, je ne puis tenir d’admirer ces grans personnages de l’Antiquité, et signamment Apelle, Echion, Melanthius et Nicomachus, tous grans et illustres en l’art de peinture, d’avoir fait avec quatre couleurs seulement des tableaux si riches, qu’il n’y avoit piece de leur facture, qui ne vallust la richesse d’une bonne ville. Et neantmoins tout leur blanc estoit fait de tripoli [[1:Melinum]] et leur jaune n’estoit que d’ocre attique [[1:Sil atticum. Toutefois Philander pense que le Sil attique soit purpurin, ou violet]] : et avoyent pour leur rouge le boli armeni de Levant [[1:Sinopis Pontica]], n’usans pour tout noir que de vitriol. Et maintenant que toutes murailles des maisons sont quasi peintes de pourpres : et que les Indiens ne nous espargnent que les limons [[1:Il entend parler de l’inde, qui s’amasse alentour de certains roseaux, comme est dit cy dessus]] qui viennent parmi leurs rivieres : et que d’ailleurs nous avons à suffisance de sang de dragon : ce neantmoins on ne sçauroit trouver une bonne piece moderne. En quoy on peut voir que les besongnes estoyent beaucoup meilleures lors qu’il y avoit peu de couleurs en estre, au regard de maintenant qu’on les regorge quasi. Mais à la vérité cela procede de ce qu’à présent les choses sont estimees selon qu’elles sont riches et non selon le sçavoir qu’on a employé apres.
, p. 951
Il fit aussi un Alexandre tenant de foudre [[1:Anciennement, on peignait le foudre par trois flêches liées ensemble ayant des garrots des deux côtés]] en sa main, qui coûta vingt talents d’or, et néanmoins fut mis au temple de Diane Éphésienne. Et de fait, la besogne était si riche, qu’il semblait qu’Alexandre eût les doigts de la main levés, et que la foudre fut hors du tableau. Sur quoi se faut toujours souvenir, que tous ces riches ouvrages furents faits avec quatre couleurs seulement ; et néanmoins ce tableau fut acheté à pleins boysseaux d’or sans le compter.
, p. 951
Quant au tableau de Venus sortant de la mer, qui est dite des Grecs, Anadyomene, l’empereur Auguste le dedia au temple de Caesar son pere, et l’enrichit d’un epigramme grec si bien fait qu’il surpassoit mesme le tableau, et neantmoins le rendoit plus illustre. Et toutesfois on ne sceut jamais trouver peintre qui voulust entreprendre de refaire le bas de ce tableau, qui estoit aucunement gasté, de sorte que ce degast causoit une plus grande gloire à Apelles qui l’avoit fait. Enfin, la vermolissure le rongea et mangea du tout : de sorte que l’empereur Nero fut contrait y mettre un autre en sa place, qui estoit de la facture de Dorotheus.
, p. 951
Mais pour retourner à Apelles, il avoit encommencé une autre Venus sortant de la mer, en l’isle de Langon [[1:Cos Ins.]], laquelle eust encore surpassé la premiere. Mais la mort le surprint sur ce poinct, et ne put-on jamais trouver homme qui la sceut parachever, ny qui sceust suyvre le pourfil, ny les traits qu’ils (sic) avoit encommencez.
, p. 4
Toutefois àfin qu’il ne semble que j’en vueille entierement aux Grecs, je veux bien qu’on sache, que j’ay intitulé mon livre, comme en l’air, suyvant en ce les parangons des peintres et imageurs que trouverez alleguez en ces miens livres, lesquels mettoyent comme des titres imparfaits, et en l’air, aux pieces sortant de leurs mains, qui neantmoins estoyent si parfaites, que tant plus on les consideroit, tant plus estoyent admirables. Et de fait, Apelles et Polycletus avoyent tousjours accoustumé de mettre à tous les tableaux qu’ils avoyent parfaits, Apelles, ou Polycletus faisoit cela [[1:Apelles faciebat]] : comme si la besongne eust esté encores imparfaite, et qu’il n’y eust qu’un commencement d’art : à ce que la diversité du jugement des hommes ne leur peut couper chemin, de se pouvoir excuser des fautes qu’on trouveroit en leur besongne, comme ayans bien bonne affection de les corriger, si d’avanture ils ne se trouvoyent surprins, ou de mort ou de maladie. Et de fait, ces grands personnages se monstrerent fort modestes, en ce qu’ils intitulerent tous leurs tableaux comme si ç’eust esté leur derniere besongne, et que la mort ne leur eust permis les rendre respectivement en leur perfection. Aussi ne trouve-on au plus, que trois tableaux intitulez absoluëment qu’Apelles eust faicts. [[1:Car il y avoit escrit, Ille fecit.]] En quoy on peut voir qu’il se contentoit merveilleusement de l’artifice qui y estoit. Et de fait, ces trois tableaux furent fort souhaittez et envyez, voire des plus grands du monde.
, p. 953
Mais sur tous, il fit un Malade qu’on ne peut tenir d’admirer. En somme, il estoit si consommé en cest art que le roy Attalus ne craignit point de donner cent talens d’un tableau de sa facture.
, p. 941
Mais quoy ? Chacun n’est-il abbreuvé que Candaules, dit Myrsilus, jadis roy de Lydie et dernier roy des Heraclides, acheta au poids de l’or un tableau de la facture de Bularchus peintre, où estoit pourtraite la guerre des Magnetes, qui se tenoyent jadis où est maintenant Capo Verlichi ? En quoy on peut assez voir l’estime qu’on faisoit desja de ce temps là à la peinture.
, p. 967-968
Apres avoir monstré l’estat de l’art de peinture, sera bon de mettre l’art de potterie apres. Et pour venir à son origine, on dit que Debutades, pottier de terre de Sycion, fut le premier qui se mit à former image, de la terre mesme dont il faisoit ses pots, et ce par le moyen d’une fille qu’il avoit : laquelle estant amoureuse d’un jeune homme, charbonna à l’ombre de la chandelle, contre la muraille, le pourfil du visage de son amoureux, pour le contempler tousjours en son absence. Quoy voyant son pere, suyvit les dits traits, emplastrant d’argile la muraille, selon le pourfil des traits que dessus : et voyant qu’il y avoit quelque forme en sa besongne, il la mit cuire avec la fournee des pots. Et dit-on, qu’il mit ceste teste es estuves de Corinthe, où elle demeura jusques à ce que Mummius rasa la dite ville.
, p. 957
Au contraire, Dionysius ne sçavoit faire que les hommes : aussi l’appelloit-on Anthropographus pour cela.
, p. 966-967
Il y a eu des femmes, qui aussi ont esté excellentes peintresses : et signamment Timareté fille de Nicon (sic), qui fit une fort belle Diane, qui est à Ephese, laquelle sent bien son antiquité. Il y a aussi Irené, fille et apprentisse du peintre Cratinus, laquelle contrefit Eleusiné, en fille. Calypso aussi fit un vieillard, et Theodorus enchanteur, usant de ses exorcismes. Alcisthené fit un baladin ; mais Aristareté, qui fut fille et apprentisse de Nearchus, se passa maistresse en un Aesculapius qu’elle fit. Marcus Varro dit, que luy estant encores jeune homme, y avoit à Rome une fille de Spiga, nommee Lala, laquelle se maintint vierge toute sa vie, et besongnoit fort bien du pinceau, et gravoit parfaitement en yvoire, avec le burin : mais surtout, elle estoit excellente à faire des femmes. Elle fit aussi un Napolitain en grand volume : et se contrefit soy mesme, à un miroir. Et dit-on, qu’il n’y eut onc peintre qui eust la main si legere, que ceste fille : et estoit d’ailleurs si consommee en cest art, que sa besongne se vendoit ordinairement plus, sans comparaison, que celle de Sopylos et de Dionysius, qui estoyent de son temps : et neantmoins on estimoit un cabinet fort riche, où y avoit des pieces desdits peintres. Il y a aussi eu une Olympias, qui s’est meslee de peindre : toutesfois je ne trouuue chose digne de memoire d’elle, hormis qu’elle monstra le mestier de peintre à Autobulus.
, p. 957-958
Je ne veux aussi oublier un autre Ludius qui fut du temps de l’empereur Auguste : car ce fut le premier inventeur de peindre des paisages és murailles : comme des maisons champestres, metairies, allees, vignettemens, touffes de bois, forests, collines, viviers, ruisseaux, rivieres, ports et rivages, tels qu’on les demandoit : mesme y mettoit des gens qui se pourmenoyent, et d’autres qui prenoyent plaisir de passer le temps sur l’eau. Es paisages de terre, il faisoit aupres des metairies, d’asnes et de chariots chargez. Quelquefois aussi il y mettoit des gens qui peschoyent à la ligne et au filé : et d’autres qui prenoyent plaisir à la volerie, ou à la chasse du lievre, ou de la beste rousse, ou noire et mesme prenoit plaisir de mettre des vendangeurs, parmi les paisages. Et de fait, entre les pieces de respect qui sont de sa facture, il y a des metairies assises en lieux marescageux, où on peut remarquer les chemins glissans, et des femmes qui tombent et glissent, et d’autres qui y vont d’aguet, comme en tremblant de peur de choir, estants recourbees, comme si elles vouloyent charger quelque charge sur leurs testes, ou sur leurs espaules : et dix mille autres petites gentillesses qu’on y voit. Et quant aux murailles qui sont à jour descouvert, il trouva façon d’y mettre des villes maritimes qu’il faisoit fort bon voir : joint aussi que cela est de petite despense. Et neantmoins pour bien besongner que cestuy et ses semblables ayent sceu faire, on n’en a jamais fait si grand estat, que de ceux qui s’addonnerent à peindre des tableaux : et c’est pourquoy ceux de l’Antiquité nous sont en admiration.
, p. 965
Quant à Nealces, il fit une Venus fort riche, et estoit addroit et fort inventif en son art. Car voulant representer la rencontre des deux armees de mer, assavoir des Egyptiens, et des Perses, qui fut fait sur le fleuve du Nil : et ne pouvant contrefaire l’eau du Nil, pource qu’elle est semblable à l’eau marine : il peignit un asne beuvant à bort de riviere, et un crocodille qui le guettoit : pour monstrer ce rencontre avoir esté fait sur le Nil, qui est la droitte retraite et nourriture des crocodiles.
, p. 931
Es jeux publics que Claudius Pulcher fit, le couvert du theatre estoit peint si au vif, que les corbeaux mesmes s’y trompoyent à tous coups, pensant que ce fussent tuyles.
, p. 928-929
Et quant à l’origine de l’art de peinture, on n’en sçauroit parler resoluement : aussi n’est ce mon principal dessein. Toutesfois, les Egyptiens se vantent, l’art de peinture avoir esté practiqué en leur region, plus de six mille ans avant qu’il fust question d’aucune peinture en Grece. Mais ce est notoirement faux. Et quant aux Grecs, les uns tiennent que l’invention de peindre vient de Chearema de la Moree, et les autres afferment que c’est de Corinthe, tous neantmoins conformément disent que la premiere peinture se fit à pourfiler seulement l’ombre d’une personne : et que par apres on commença à couvrir ce pourfil de une couleur seulement : et appelloit on ceste sorte de peinture, Monochroma, c’est à dire pourtrait d’une couleur. Et de fait, encores que l’art de peinture se soit agencé depuis : pour cela neantmoins les pourtraits d’une couleur n’ont esté abolis, car ils durent encores. Et quant à l’invention de peindre par linges (sic) [[1:Linearis pictura]], et de faire les traits de peinture, on l’attribue à Philocles Egyptien ou à Cleanthes de Corinthe. Et neantmoins on tient que Ardices Corinthien et Thelephanes de Chiarenia, furent les premiers qui firent estat de cest art : et toutesfois ils n’avoyent pas de couleurs, et si usoyent de tous les traits de peinture, tant du pourfil, que de ceux de dedans, car ils ne faisoyent que charbonner. Quoy qu’il en soit, il ne fera que bon de mettre icy les pieces qu’ils ont fait leur temps. Touchant l’invention de peindre avec couleurs, on dit que Cleophantus Corinthien fut le premier qui commença à barbouiller de tests de pots cassez.
, p. 947
En somme, son credit fut si grand, qu’il mit cest estat premierement à Sicyon, et subsequemment par toute la Grece, de faire apprendre l’art de pourtraire [[1:Diagraphice]] devant toutes choses aux enfans des gentils hommes et grands seigneurs, ausquels on monstroit les traits de peinture sur des tablettes de bouys. Et fut cest art tant estimé à sa faveur, qu’on le mit au rang des arts liberaux. Aussi portoit on tel respect à l’art de peinture, qu’il n’y avoit que gentils hommes qui s’en meslassent du commencement : toutesfois du depuis quelques gens d’honneur s’y adonnerent : à la charge neantmoins de ne l’enseigner à la valetaille ny aux esclaves lesquels en estoyent forclos par edict public et perpetuel. Aussi ne trouve-on point de pieces faites de main d’esclave, soit en replat ny en relief, ny avec le cizeau [[1:Tereutice]] ou burin.
, p. 944-945
Il[[5:Parasius Ephesien.]] fut tenu au jugement de tous les peintres, le plus consommé de tous, à faire le pourfil, et les derniers traits d’une besongne : et neantmoins c’est le poinct principal et le plus difficile de tout cest estat. De faire les corps, et de peindre le dedans, il y a de l’affaire : mais neantmoins on en trouve assez qui y sont excellens. Mais de bien faire le pourfil, et les derniers traits d’une besongne, on en trouve peu. Car l’extremité d’une besongne doit estre tellement arrondie, et doit tellement monstrer son rond, qu’on puisse cognoistre qu’il y a autre chose que ce qui est en apparence, et que mesme, s’il est possible, elle puisse monstrer ce qui est caché dessous. Et de faict, Antigonus et Xenocrates, qui ont tous deux escrit de l’art de peinture, baillent le bruit de ce poinct à Parasius, le louans sur tous hommes de cest art, et le confessant tel. On trouve encores plusieurs projets [[1:Graphis, ou plant, ou platte forme]] et desseins de sa main, faits en tablette, et en parchemin, où les peintres prennent ordinairement leurs patrons. Et neantmoins, il n’estoit si excellent à faire le dedans des corps, que son grand sçavoir portoit.
, p. 945
Mais sur toutes ses[[6:L’auteur attribue ces tableaux à Démon Athénien.]] besongnes, on fait cas de deux soldats <Hoplitis> qu’il fit armez à la legere, dont l’un est si eschauffé à courir en la bataille, qu’on le voit suer : et l’autre qui pose ses armes, se montre si recreu, qu’on le sent quasi alener.
, p. 945-946
En somme, il n’y a peintre de l’Antiquité dont on monstre tant de pieces que de cestuy[[5:Démon Athénien, que Du Pinet confond avec Parrhasios.]] : aussi usoit il fort arrogamment de la gloire qu’il avoit acquise par son art : car luy-mesme se donnoit ses titres, s’appellant quelques fois Abrodiaetus [[1:c’est à dire, vivant delicatement]], et quelquefois il se nommoit prince de la peinture, et se vantoit d’avoir amené le dit art à perfection. Mesme entre autres choses, il se disoit estre de la race d’Apollo, et affermoit avoir fait le tableau d’Hercules, qui est à Lyndos, suyvant le vif et naturel du dieu Hercules, lequel s’estoit souvent apparu à luy en dormant, à son dire. Toutesfois au jugement de tous les assistants, Tymanthes le vainquit en un Ajax, et mesme au jugement des armes, en l’isle de Samos. De quoy fort fasché Demon disoit qu’il estoit seulement marri du prince Ajax, qui se trouvoit vaincu pour la seconde fois par un homme indigne de ceste gloire [[1:car Ulyxes l’avoit vaincu en vie : mais Tymanthes l’avoit surmonté en peinture]]. Il prenoit plaisir de peindre en petit volume toutes vilenies et paillardises, et disoit qu’il y reprenoit aleine.
, p. 945
Quant à Demon Athenien, il fut aussi tenu pour peintre excellent et fort inventif de son temps : car il vouloit representer en un mesme subjet et pourtrait, un homme inconstant, colere, et inique : et neantmoins affable, clement, misericordieux : haut à la main, superbe et humble : furieux et couarc ; et estoit apres à representer tout cela en un mesme subjet.
(vol. 11), p. 239-241
Il a peint le Peuple d’Athene, personnifié, sujet des plus ingénieux et des plus difficiles à remplir ; car il s’agissoit d’exprimer l’Etre à la fois le plus varié, c’est-à-dire colere, injuste, inconstant, et toutefois exorable, clément, compâtissant, plein de grandeur d’ame ; un Etre glorieux et humble, férocement intrépide, et timidement fuyard ; et il falloit articulier et réunir toutes ces expressions dans un même sujet[[3:Sujet que traita aussi Aristolaus, fils de Pausias, comme on le verra au chapitre 11. Cet Aristolaus, comme on le verra, ibidem, fit aussi un Thésée.]].
, p. 960-961
Pausias aussi s’adonna à faire de grans tableaux : comme ce beau sacrifice de bœufs qu’il fit, lequel est aujourd’huy és galeries de Pompee le grand. Et de fait, ce fut le premier qui mit en jeu les sacrifices, pour les representer en peinture. Lequel dessein fut par apres attenté de plusieurs : mais nul n’approchoit de la dexterité de Pausias. Entr’autres choses il avoit cela de gaillard, que voulant monstrer un bœuf de son longil le peignoit de front, et non du costé, ou de flanc, pour monstrer entierement sa grosseur et sa longueur. Item, au lieu que les autres usoyent de couleurs blanches et cleres en leurs rahaussemens et arrondissemens, et que pour bien faire leurs perspectives ils ombrageoyent de noir le blanc dont ils usoyent, luy faisoit les bœufs tous noirs, donnant corps aux ombragemens, des ombres mesmes. En somme, il estoit si excellent en perspective, qu’on eust dit que sa platte peinture estoit relevee et faite en bosse : et que plusieurs choses estoyent brisees et rompues, qui neantmoins estoyent toutes entieres.
, p. 960
En sa jeunesse il fit fort la court à une bouquettiere de sa ville qui avoit nom Glycera, laquelle estoit fort gentille, et avoit dix mille inventions à digerer les fleurs des bouquets et des chappeaux : de sorte que Pausias contrefaisant le naturel des chappeaux et bouquets de sa maistresse, vint à se rendre parfait en cest art. Finalement il la peignit assise, et faisant un chappeau de fleurs : et tient on ce tableau pour une des principales pieces que jamais il ait faites. Il l’appella Stephanoplocos [[1:c’est à dire bouquettiere]] ou Stephanopolis [[1:c’est à dire vendeuse de bouquets]], pour ce que Glycera n’avoit autre moyen de se soulager en sa pauvreté, qu’à vendre des chappeaux et bouquets. Et certes on dit que Lucius Lucullus donna à Dionysius Athenien, deux tableaux du transumpt [[1:apographon]] et contrefacture de ce tableau.
, p. 960
Il se delectoit fort à peindre en petit volume, et à faire des petis enfans. Mais les malveillants disoyent qu’il faisoit cela tout expres, pour ce qu’il y alloit beaucoup de temps à faire ceste besongne. Ce qu’entendant et voulant montrer tout le contraire de leur dire, et illustrer par ce moyen l’art de peindre en petit volume, il peignit un un jour, et appella ce tableau, Hemeresios, pour ce qu’il avoit esté fait en un jour.
(vol. 11), p. 277
Il aimoit à faire des tableaux circonscrits en petit espace, principalement des enfants. Ses envieux se figuroient par cette raison qu’il vivoit à l’épargne du travail, pour compenser la longueur du tems qu’il employoit à chaque tableau. Voulant donc se donner de ce côté-là la réputation qu’il avoit déjà du côté du talent, il commença et acheva en un seul jour celui de ses tableaux qu’on nomme l’Hemeresios[[3:Comme qui diroit l’œuvre d’un jour.]], et qui représente un enfant.
, p. 956-957
[…] car je veux icy traiter ceux qui ont besongné excellemment du pinceau, en un petit volume : entre lesquels Pyreicus emporte à bon droit le bruit. Toutesfois je ne sçay si de guet à pens, il vouloit assopir son bruit : car il ne s’adonnoit qu’à petites besongnes, esquelles neantmoins il acquit un grand bruit : comme à faire des boutiques de barbiers, de cordonniers, de petits asnes chargez d’herbages, et dix mille autres tels fatras, où il prenoit si grand plaisir, qu’il en print le nom et sobriquet de Rhyparographos [[1:c’est à dire peintre de chose de basse estoffe]]. Et neantmoins sa rustique, et ses petites besongnes se vendoyent plus, encores qu’elles fussent en petit volume, que plusieurs grandes pieces d’autre main que la sienne.
, p. 955
En somme le tableau de Protogenes fut tant estimé, que le roy Demetrius, pouvant aisément prendre Rhodes du costé où estoit la maison de Protogenes, defendit le feu de ce costé-la, de peur de brusler ledit tableau, de sorte que pour espargner ceste piece, il perdit l’occasion de la prinse de Rhodes. Et neantmoins par fortune Protogenes estoit lors en un petit jardin qu’il avoit és faubourg de Rhodes où il travailloit, estant au milieu du camp, et n’avoit jamais laissé de besongner quelque furie de guerre qu’il vist devant lui. Estant donc mené devant le roi Demetrius, et interrogué quelle asseurance il avoit de se tenir ainsi hors la ville de Rhodes, en temps de guerre ? respond qu’il estoit assez informé, que la guerre qui se menoit contre les Rhodiens, ne s’estendait contre les arts et sciences. Le roy donc fort aise de pouvoir sauver celuy, qui desja il avoit tant respecté, fit assoir guet tout alentour de son logis, de peur qu’on ne luy fit déplaisir. Mesmes pour ne le desbaucher, il le venoit voir souvent, encore qu’il fust grand ennemi des Rhodiens, et sans se soucier de chose qui fust, il prenoit plaisir de voir travailler Protogenes, durant qu’on livroit les assauts. Mesmes on dit qu’on lui tenoit quasi tousjours l’espee à la gorge pendant qu’il travailloit. Et neantmoins pour monstrer qu’il ne s’en soucioit gueres, il fit lors un Satyre divinement fait, qui jouoit du flageolet, et l’appella Anapauomenos [[1:c’est à dire, s’essuyant]].
, p. 954-955
Toutesfois on tient pour la meilleure de ses pieces, un Ialysus qu’il fit, qui est au temple de Paix à Rome. Et dit-on, que durant le temps qu’il fit ce tableau, il ne mangeoit que des lupins destrempez, qui luy servoyent de boire et de manger tout ensemble : et ce de peur que le goust des viandes ne luy empescha ou luy chargeast le sens Mesme afin que ce tableau fust de plus longue duree, il luy bailla partout quatre charges, à ce que quand le temps en auroit consommé une, l’autre se trouvast fraische dessous. En ce tableau y a un chien, qui est quasi divinement et miraculeusement fait : car il fut fait selon l’art et par cas fortuit. Car ayant fait ce chien du tout à sa fantaisie (qui neantmoins estoit grand cas, qu’une fois il eust contenté son esprit), il ne savoit comment exprimer en peinture l’escume que rend un chien, ayant couru. D’un costé, il estoit fort marri du grand artifice qui estoit au dit chien, lequel neantmoins il ne pouvoit diminuer, et voyoit bien que l’escume qu’il avoit faite à son chien, estoit trop curieusement faite, et par trop esloignee du naturel, de sorte qu’on voyoit bien que c’estoit escume peinte, au lieu qu’il falloit qu’elle sortit de la bouche du chien. Lui donc qui ne vouloit point de choses vraysemblables en sa besongne, ains taschoit que le tout y fust au naturel ; estant fort fascché, avoit souvent changé de pinceau et de couleurs, et souvent osté avec une sponge les couleurs qu’il avoit assises pour faire ceste escume. Et voyant qu’il ne faisoit chose qui fust à sa fantasie, il se despita contre sa besongne : et pour monstrer que ce tableau n’estoit à sa fantasie il jetta de despit son esponge contre la place qui luy desplaisoit au dit tableau : laquelle, estant pleine des couleurs qu’elle avoit prinse audit tableau (car Protogenes s’en servoit à enlever les couleurs qui ne luy plaisoyent pas) les remit en place mesme, qui tenoit Protogenes en si grande fascherie : et neantmoins elles se trouverent assises si à propos, que Protogenes y trouva l’escume de son chien faite par cas fortuit, comme il desiroit. Nealces en usa de mesme, pour representer au naturel l’escume d’un cheval qu’il avoit fait, avec un garçon qui le retenoit à le flatter.
, p. 953-954
De ce temps mesme aussi, comme desja nous avons dit, Protogenes estoit en regne : lequel estoit natif de Carnus (sic) ville subjecte aux Rhodiens. Du commencement il estoit fort povre : car il estoit si ententif à recercher les secrets de l’art de peinture, qu’il ne faisoit comme point de besongne. De dire de qui il apprint son mestier, il n’est possible. Bien trouve-on que jusques à l’aage de cinquante ans, il ne servoit qu’à peindre les navires : ce que bien il demonstra, peignant la basse court [[1:Propylaeon]] de la citadelle d’Athenes, qui respond au temple de Minerve, estant au lieu le plus eminent d’Athenes : car il y fit un Paralus [[1:c’est à dire un marinier qui se tient à bort de mer. Toutesfois aucuns tiennent que ce fut Paralus, qui premierement inventa les fustes de mer.]], et une Hemionide [[1:c’ estoit une fille estant à cheval ou sur une mole]], dite Nausicaa : et neantmoins fit en la Crotesque [[1:Parergon]], de petites fustes, pour monstrer le petit commencement de son art, et la perfection où il estoit parvenu depuis.
, p. 955
Mesmes on dit qu’on luy tenoit quasi tousjours l’espee à la gorge pendant qu’il travailloit. Et neantmoins pour monstrer qu’il ne s’en soucioit gueres, il fit lors un Satyre divinement fait, qui jouoit du flageolet, et l’appella Anapauomenos [[1:c’est à dire, s’essuyant]].
, p. 966
D’avantage, c’est grand cas que les dernieres pieces des peintres excellens, et celles qui sont imparfaictes, sont plus estimees sans comparaison, que celles qui sont parfaites, comme l’arc en ciel d’Aristides : Castor et Pollux de Nicomachus : la Medee de Timomachus : et celle singuliere Venus sortant de la mer, qu’Apelles avoit encommencee, selon qu’avons dit cy dessus. Et de fait, on voit quasi en ces tableaux imparfaits les traits qui restoyent à faire, et y cognoist-on l’imagination, et le dessein de ceux qui les faisoyent : tellemens que prenant plaisir à voir ces commencemens singuliers, on a grand regret à la mort de ces grans personnages.
, p. 946
Et quant à Timanthes, il avoit fort bon entendement : aussi fit-il une Iphigenia, dont y a des oraisons et harangues faites expres à sa louange. Et de fait, ayant fait Iphigenia, devant l’autel, preste à sacrifier, et tous les assistans pleurans et gemissans de la mort de ceste jeune princesse : et ayant fait sur tous son oncle paternel si marri, qu’on eust peu remarquer en luy toutes les especes de tristesse, il couvrit le visage d’Agamemnon, pere de ceste jeune princesse, pour ce qu’il n’eust esté possible de representer la tristesse qu’il pouvoit avoir de sacrifier sa fille. Il fit encores plusieurs autres tableaux de grandes invention : et signamment un Cyclope dormant [[1:c’estoyent grans forgerons de Vulcan, qui n’avoyent qu’un œil au front.]], que il fit en petit volume : et neantmoins voulant remarquer sa grandeur gigantale, il fit des petis satyres, qui mesuroyent son son (sic) avec des tiges d’herbes [[1:ou avec de perches]]. En somme, il avoit ceste dexterité en toutes ses besongnes, qu’il y avoit tousjours quelque secrette intelligence cachee dedans, par dessus ce qui y estoit pourtrait. Et de fait, encores que l’art de peinture soit grand : si est ce toutesfois que les subtiles inventions qu’on y remarque, tiennent leur ranc à part.
, p. 963
Timomachus de Constantinople fut du temps de Jules Cesar, car il luy fit un Ajax, et une Medee dont il eut lxxx. talens : lesquelles pieces Cesar fit mettre au temple de Venus mere, qu’il avoit fait bastir.
, p. 943
Il fit aussi une Peneloppe [[1:Elle estoit femme du roy Amphytrion, et mere d’Herculos. Nous avons desja parlé de son pourtrait]] où il semble qu’il ait amassé toutes les honnestetez et bonnes contenances qu’une princesse doit avoir. Il fit aussi une luitte où il print fort grand plaisir : aussi mit-il dessous que ceste piece seroit plustot enviee que contrefaite.
, p. 944
On dit que Parasius presenta le collet, en fait de peinture, à Zeuxis, auquel combat Zeuxis produit sur l’eschaffaut un tableau de raisins peints si au vif, que les oiseaux le venoyent becquer sur l’eschaffaut mesme. Au contraire Parasius apporta un linceul peint si au naturel, que Zeuxis se glorifiant des becquades que les oyseaux avoyent donnees à ses raisins, dit tout haut, comme par moquerie, qu’il estoit temps d’oster le linceul, pour voir quelle piece Parasius avoit apportee. Mais cognoissant par apres que ce n’estoit que peinture, et se trouvant confus, usa neantmoins d’une grande honnesteté à ceder le prix à Parasius : disant, qu’il avoit bien eu le moyen de tromper les oiseaux : mais que Parasius avoit fait d’avantage de l’avoir trompé luy-mesme, qui s’estimoit consommé en l’art de peinture. On dit aussi que Zeuxis fit depuys un garçon, portant une grappe de raisins : et voyant que les oiseaux y venoyent becquer cint contre son tableau bien fasché, blasmant son ouvrage mesme, d’une grande sincerité, confessant qu’il avoit mieux fait les raisins que le garçon : car si le garçon eust esté fait entierement selon le naturel, les oiseaux eussent craint de venir becquer les raisins.
, p. 943
mais au reste il estoit si curieux de suivre le naturel, que voulant faire un tableau pour ceux de Girgenti [[1:Agrigentum]], qui en avoyent voué un au temple de Juno, qui est au cap [[1:Lacinium promont.]] de colomnes en la Calabre en dehors, il voulut voir toutes les filles de Girgenti nues : entre lesquelles il en choisit cinq, pour amasser en son pourtrait toutes les marques de beauté qu’elles avoyent.
, p. 943
Aussi acquit il tant de biens, que pour se monstrer riche comme il estoit, il fit brocher en or trait son nom, en certaines lozenges qui estoyent és bords des manteaux qu’il portoit é jeux publiques à Olympe. Enfin il delibera de donner sa besongnes pour neant : ayant ceste presomption de soy, qu’on ne l’eust sçeu assez payer, quoy qu’on en eust donné. Et de fait, il donna une Alcmena à la ville de Girgenti [[1:Agrigentum]] de Sicile : et un dieu Pan au roy Archelaus.
, p. 962
Pour laquelle piece il ne voulut prendre soixante talens du roy Attalus, ains en fit present à sa patrie, car il estoit fort riche.
, p. 953
De ce temps mesme Aristides de Thebes estoit en regne, qui fut le premier qui peignit les conceptions de l’esprit, et qui exprima en peinture toutes les actions du sens et de l’entendement : toutesfois il meurtrissoit trop ses couleurs, et y estoit trop rude. Il fit une prinse de ville, où y a un petit enfant qui s’agraffe à une playe que sa mere, tirant à la mort, a en la mammelle, où ceste femme blessee est peinte si au vif, qu’il semble qu’elle se ressente du mal que l’enfant luy fait, et que elle a peur que son enfant, trouvant le laict mort, ne luy suce le sang. Lequel tableau fut trouvé si excellent qu’Alexandre le Grand le fit emporter avec soy à Pellas, qui estoit le lieu de sa nativité.